Le principe du financement par appel à projet est généralisé dans le monde de la recherche, ce qui lui donne une apparence de système universel.
Pour autant, il existe une véritable « exception française » en matière de mise en œuvre du système de financement par appel à projet.
Un mode de saupoudrage
Dans la plupart des pays, le succès à un appel à projet permet d’obtenir des crédits suffisant pour le bon fonctionnement d’une équipe : ainsi, aux USA, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, les « appels à projet » attribuent des crédits se comptant en centaines de milliers d’euros (par exemple, 750 000 livres pour le UKPI* ou plus de 500 000 pour le NWO** néerlandais) avec des probabilités d’obtention importante (entre 25% et 30% pour le NWO néerlandais et plus de 30% pour le UKPI britannique).
A l’inverse, le système français relève encore, malgré une amélioration récente, d’une logique de saupoudrage. Non seulement le taux de succès (probabilité d’obtenir un financement lors du dépôt d’un dossier) reste peu élevé malgré une hausse récente (22% pour les projets ANR 2021, après 17% en 2020), le financement obtenu est particulièrement faible (450 000 euros à distribuer sur 4 ans et à répartir sur plusieurs partenaires). Enfin, le dossier à fournir est particulièrement lourd (plusieurs dizaines de pages).
Au final, notre système d’« appel à projet » exige de nos chercheurs qu’ils rédigent des dossiers importants pour présenter des demandes des financements qui ont peu de chance d’aboutir pour un éventuel financement annuel de quelques dizaines de milliers d’euros (cas de l’ANR). Certaines sources de financement sont considérées comme tellement inefficaces que des unités ont renoncé à les solliciter, tant il s’agit d’une perte de temps, d’argent et d’énergie.
Les financements européens, plus conséquents (notamment lorsqu’il s’agit d’ERC), permettent la mise en place de véritables activités, mais ces financements sont très difficiles à obtenir ; surtout, globalement, l’augmentation des financements publics européens et/ou régionaux ne compense pas la baisse des financements nationaux.
Un gaspillage institutionnel
Le simple fonctionnement du système d’appel d’offre français, le plus accessible, mobilise donc désormais une part importante de l’activité des chercheurs, en particulier les plus expérimentés qui y consacrent jusqu’à 70% de leur temps alors qu’ils n’ont pas de compétence spécifique en matière bureaucratique et n’ont pas nécessairement vocation à s’y consacrer. Pire encore : pour améliorer leurs chances d’obtenir un financement, ces mêmes chercheurs sont amenés à se positionner eux-mêmes dans les jurys, afin d’être intégrés à l’« appareil » qui s’est créé pour distribuer des financements.
Dans certains domaines, le découragement et la démobilisation des chercheurs devant cette dénaturation de leur métier devient palpable et le nombre de projets déposés est en baisse, parfois importante.
Un système qui ne permet pas l’innovation de rupture
Au-delà du gaspillage de ressources, de talent et d’énergie, les financements par appel à projet sont fréquemment accordés pour des durées de 4 ou 5 ans ; ils correspondent donc à la partie de nos métiers faites d’actions de court/moyen terme. Les actions d’innovation « incrémentales », notamment, s’insèrent d’emblée dans ce type de logique.
Pour autant, ce type de fonctionnement est totalement inadapté aux recherches « amont » et aux activités de « ressourcement » qui correspondent à des opérations menées sur des logiques (et des financements) à plus long terme.
Au-delà, ces systèmes n’endossent pas le risque inhérent à la recherche et sont largement inadaptés à la rupture.
Enfin, la recherche est, en principe, un métier scientifique que le système d’appel à projet a transformé en « recherche de financement », activité dans laquelle les personnels de recherche gaspillent leur créativité.