Par cet arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation se prononce sur les niveaux auxquels la négociation obligatoire visée à l’article L. 2242-1 du code du travail peut être conduite dans les entreprises comportant des établissements distincts.
Clarté et fin des imbroglios des niveaux « entreprise – établissements » ? Pas si sûr !
JURISPRUDENCE SOCIALE NÉGOCIATION COLLECTIVE OBLIGATOIRE :
A propos de la décision de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 avril 2024, 22-15.784, Publié au bulletin
https://www.legifrance.gouv.fr/juri…
La Cour de cassation pose :
« un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels la négociation obligatoire visée à l’article L. 2242-1 du code du travail est conduite » .
– FAITS :
Une société, issue de la fusion de 5 filiales multi-techniques régionales d’un groupe, est composée d’une division industrie, d’une division tertiaire et d’un centre de services partagés. Chacune des divisions dispose de sa propre direction générale et comprend un ou plusieurs établissements.
Un accord collectif de méthode sur la négociation des statuts collectifs au sein de la société a été signé par deux des trois organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, aux termes duquel : il est identifié trois périmètres de négociations portant sur les statuts collectifs. Puis la société a engagé les NAO au niveau de chaque division.
A la suite de cela, un syndicat a informé la société de son opposition au déroulement des négociations annuelles obligatoires à un niveau inférieur à celui de l’entreprise.
La société a répondu qu’elle maintenait les négociations sur les périmètres conventionnellement prévus, sans la participation du syndicat contestataire.
– PROCEDURE :
Ce syndicat invoque un trouble manifestement illicite et a saisi le président du tribunal judiciaire pour ordonner à la société, sous astreinte, de convoquer les organisations syndicales représentatives à la NAO au niveau de l’entreprise et d’obtenir sa condamnation à lui verser une provision comme dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le non-respect de l’obligation de négociation annuelle au niveau de l’entreprise. Le tribunal a rejeté la demande de dommages-intérêts . Les hostilités étaient engagées…
La Fédération syndicale a donc saisi la Cour d’appel de Lyon, car elle considère que « la négociation annuelle obligatoire devant s’ouvrir au niveau de l’entreprise, elle ne peut être engagée par l’employeur au niveau d’un établissement si l’une des organisations syndicales représentatives à ce niveau s’y oppose ».
La Cour d’appel a rendu son arrêt le 24 février 2022.
La question qui se pose avant tout dans ce cas est celle de la possibilité d’orchestrer les négociations annuelles obligatoires à un niveau inférieur à celui de l’entreprise ?
– ECLAIRAGES :
Selon la Haute juridiction, il résulte des art. L. 2242-1 Code du travail dans son ancienne rédaction prévoyant la périodicité de l’engagement des NAO, et L. 2242-10 prévoyant lui la conclusion de l’accord de méthode, qu’un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels la NAO est conduite.
L’accord de méthode contesté identifie trois périmètres de négociation, la négociation portant pour chacun d’eux sur les statuts collectifs applicables aux salariés de leurs établissements et rattachés à leurs différents CSE.
L’accord précise également les sujets de négociation et fixe les modalités de désignation des délégués syndicaux habilités à représenter leurs organisations au niveau de chaque périmètre, comme la double condition de validité de l’accord (50 % des suffrages exprimés en faveur des OSR au premier tour des dernières élections des titulaires aux CSE et signature par le délégué syndical conventionnel dûment mandaté à cet effet).
Enfin, l’accord a été signé par 2 des 3 OSR qui respectaient bien les conditions de validité prévues par l’accord.
Donc en application de celui-ci, les négociations annuelles obligatoires doivent être conduites au niveau de chacune des divisions, donc il n’y a pas de trouble manifestement illicite et il n’y a pas lieu à référé en ce qui concerne la demande du syndicat de négocier qu’au niveau de l’entreprise.
Il résulte du Code du travail qu’un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels la NAO est conduite.
– FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Les principaux articles sur lesquels se fondent la Cour de cassation sont les articles L2242-1 CT, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 août 2021 selon lequel « dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans :
1° Une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ;
2° Une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie au travail ».
Également l’article L. 2242-10 permet la possibilité d’un accord de méthode par lequel « dans les entreprises mentionnées à l’article L. 2242-1, peut être engagée, à l’initiative de l’employeur ou à la demande d’une organisation syndicale de salariés représentative, une négociation précisant le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans le groupe, l’entreprise ou l’établissement ».
– DROIT EN ACTIONS :
Cette jurisprudence est à rapprocher particulièrement d’un arrêt déjà rendu par la Cour de cassation, selon lequel la NAO sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, doit, en principe, être engagée au niveau de l’entreprise. L’employeur ne peut exercer la faculté de l’engager par établissement ou groupe d’établissements qu’autant qu’aucune des organisations syndicales représentatives dans l’établissement ou le groupe d’établissements où la négociation doit s’ouvrir ne s’y oppose (Cass. Soc, 21 mars 1990 n°88-14.794).
Une « direction » et une position se confirment, elles ne feront pas l’unanimité, mais respectent la liberté contractuelle de négocier la méthode à défaut de pouvoir prendre en compte tous les niveaux, en fonction de toutes les « représentativités » des périmètres utiles à la négociation et des conséquences qu’une ou l’autre organisation syndicale souhaite leur donner.
Auteur, Louis BERVICK, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toutes précisions, juridique@unsa.org