La vie privée, sphère d’intimité de la personne, a vocation à rester à l’abri des regards d’autrui. Le droit au respect de la vie privée, qui a une valeur constitutionnelle, est protégé aujourd’hui.

JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA VIE PRIVEE DU DELEGUE SYNDICAL

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Les textes…

Depuis la loi n°70-643 du 17 juillet 1970, l’article 9 du code civil fixe que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Cette garantie s’applique en tout lieu, soit même sur le lieu de travail. Dès lors, le salarié bénéficie d’un droit au respect de sa vie privée sur son lieu de travail.

Alors que les risques d’atteintes à la vie privée du salarié s’accentuent, notamment du fait des évolutions technologiques et de la modulation du droit à la preuve, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle les limites à ne pas dépasser.

° EN BREF

Par un arrêt en date du 20 mars 2024, n°22-19.153, la Chambre sociale de la Cour de cassation déclare que diffuser le bulletin de salaire d’un délégué syndical constitue une atteinte à sa vie privée, qui peut être indemnisée et ce, sans à établir l’existence d’un préjudice.

° CONTEXTE DE LA SAISINE

Les bulletins de paie d’un délégué syndical CFDT ont été diffusés par un tract du syndicat CGT, sans l’accord du salarié. Le tract intitulé « Les Corps Rompus à la Direction » comprenait notamment une copie partielle du bulletin de janvier 2008 du délégué syndical, puis une copie partielle de son bulletin de mars 2017 avec la mention : « notre délégué syndical CFDT a ainsi vu sa rémunération mensuelle brute progresser de 84,42 % en 9 ans ! ».
Le délégué syndical et son syndicat ont alors saisi ont saisi le tribunal de grande instance de Bobigny afin de demander la réparation de l’atteinte à la vie privée du délégué syndical, par le versement de dommages et intérêts.

° L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris, notamment parce qu’elle n’octroie pas le droit à réparation au salarié après la constatation de l’atteinte à la vie privée du salarié.

La Chambre sociale évoque que selon l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.

Sur ce fondement, la Chambre sociale déclare que la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation.

Dès lors, la cour d’appel n’a pas respecté l’article 9 du code civil en estimant que la publication des bulletins de salaire du délégué syndical, éléments de sa vie privée qui ont été transmis à des tiers sans qu’il n’ait donné son accord, n’ouvre pas droit à réparation. En effet, la cour d’appel attendait que le salarié apporte des éléments de nature à établir que la communication des bulletins à des tiers avait eu un effet en termes de réputation, de carrière, d’image au sein de l’entreprise, avant de lui octroyer un droit à réparation.

La Chambre sociale de la Cour de cassation conclut alors que le délégué syndical devait bien obtenir réparation en raison de l’atteinte à sa vie privée.

° ÉCLAIRAGES

Par cette position, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que l’important est la caractérisation de l’atteinte et non les conséquences de celle-ci, afin d’obtenir une réparation, le plus souvent matérialisée par le versement de dommages et intérêts.

La réparation découle de l’atteinte à la vie privée et ce, indépendamment des conséquences de celle-ci.

Dès lors, même en l’absence de preuve d’un effet sur la réputation, la carrière ou l’image du salarié au sein de l’entreprise, ou en l’espèce du délégué syndical, l’atteinte à sa vie privée suffit pour ouvrir droit à réparation.

La Chambre sociale de Cour de cassation soulage alors les salariés, puisqu’ils ne devront pas justifier des torts engendrés par l’atteinte afin de toucher une indemnisation.

° DROIT EN ACTIONS

Si le bulletin de paie d’un salarié, ou tout autre élément de sa vie privée tel qu’une photo de famille, une conversation privée, un certificat médical, l’adresse de son domicile, est publié, par un syndicat, un autre salarié, ou même l’employeur, le salarié peut saisir le juge judiciaire afin d’obtenir réparation suite à cette diffusion.

Le salarié devra prouver l’atteinte à sa vie privée, en prouvant notamment qu’il y a bien eu une diffusion.

Par ailleurs, toujours au titre de l’article 9 du code civil, le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie privée.

Toutes ces mesures peuvent être ordonnées en référé, si l’urgence est justifiée. Il est alors conseillé aux salariés de ne pas hésiter à saisir le tribunal judiciaire en cas d’atteinte à la vie privée, pour demander à ce que l’atteinte cesse ou qu’elle soit empêchée, en sus d’une demande d’indemnisation.

Auteur, Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

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