NewsLetter 

schéma mixons nos énergies

Mars 2023 

L’interview de l’UNSA SPAEN : Daniel Verwaerde

L’UNSA SPAEN a rencontré Daniel VERWAERDE jeudi 9 février 2023 à PARIS.

Jérôme AVENET et Vincenzo SANZONE ont interviewé Daniel VERWAERDE, Administrateur général du CEA de 2015 à 2018, Directeur des Applications Militaires du CEA de 2007 à 2014 et membre de l’Académie des technologies depuis 2013. Cet Ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale Paris vient d’être appelé par le Président de la République Emmanuel MACRON afin de lui confier la mission d’évaluer l’organisation « de l’équipe de France du nucléaire le plus rapidement possible » au profit du Conseil de Politique nucléaire, présidé par le Président de la République. Cette équipe de France regroupe tous les organismes chargés de la sûreté, de la sphère industrielle et de la recherche et inclut le nouveau délégué interministériel au Nouveau nucléaire, Joël BARRE, la Ministre de la transition énergétique Agnès PANNIER-RUNACHER et tous les ministères concernés.

UNSA SPAEN : « Monsieur VERWAERDE, toutes nos félicitations pour cette nomination, mais pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la mission qui vous a été confiée ? »

Daniel VERVAERDE : « Je ne sais pas si mes propos devant cette Commission ont ou pas été tendres ; j’ai simplement exprimé une conviction en laquelle je crois fermement, à savoir que la politique énergétique est une responsabilité de l’Etat, et ne peut pas être laissée aux lois du marché, parce qu’elle est un élément essentiel de notre souveraineté et pour la vie de nos concitoyens. L’Energie, et spécialement le nucléaire, a besoin d’un soutien fort de l’Etat, alors que depuis près de vingt ans il n’y a pas eu de ligne directrice continue en ce domaine. Tous les acteurs ont leurs parts de responsabilité dans cette perte d’indépendance et le conflit Russo-Ukrainien a mis en évidence que certaines certitudes dans la capacité à tenir notre indépendance ne sont pas vraies si bien que la France n’a pas d’autre choix pour son autonomie énergétique que le nucléaire. Ceci implique pour les centrales nucléaires que l’on se préoccupe de la vétusté de certains éléments, qui nécessitent une rénovation importante pour respecter les directives de l’ASN afin de porter leur durée de vie à 60 ans, et que l’on entreprenne sans tarder puis que l’on réussisse la construction des nouveaux réacteurs. Les énergies renouvelables peinent encore à prendre un essor significatif vis-à-vis des énergies fossiles qui étaient jusqu’à maintenant à bas coûts et ne seront, de toutes façons, jamais pilotables. »

UNSA SPAEN : « Comme nous avons évoqué votre audition par la commission de l’Assemblée nationale sur la souveraineté énergétique, vous avez évoqué les réacteurs à neutrons rapides. Pouvez-vous revenir sur ces réacteurs de quatrième génération ? »

Daniel VERWAERDE : « Les réacteurs à neutrons rapides ne sont pas inconnus dans le monde et la France sait les fabriquer. Superphénix en était un et il a été arrêté par une décision politique et non environnementale, économique ou encore moins de sûreté. Le CEA, connaissant le potentiel de cette filière a continué des études dont la finalité devait être le réacteur de démonstration Astrid. Ces réacteurs à neutrons rapides ont la propriété de transformer l’uranium 238 en plutonium qui est fissile tout en répondant à la loi de 2006 sur la destruction des déchets. Nous disposons d’un stock de 300 000 tonnes d’uranium appauvri sur notre territoire que la filière à neutrons rapides pourrait utiliser. La France disposerait alors d’une réserve pour produire l’électricité dont elle a besoin pour les 5000 ans à venir.

Cela suppose, naturellement, de construire des réacteurs de quatrième génération. Bien sûr, si l’on est contre le nucléaire et si l’on ne veut pas que ce dernier soit pérennisé, il faut supprimer cette filière. C’est là un choix politique… »

 « Une France souveraine en matière de politique énergétique doit être en mesure de définir et de décider seule, pour ses propres intérêts, de sa politique énergétique et de disposer des moyens d’atteindre les objectifs définis par cette politique. »

UNSA SPAEN : « Et que deviennent les renouvelables dans tout cela ? »

Daniel VERWAERDE : « Il faut continuer leur développement, mais les pouvoirs publics doivent faire un choix politique cohérent. On ne peut pas promouvoir les renouvelables et ne pas se soucier en même temps d’autonomie énergétique, et donc de ne pas créer une filière française. Ils doivent, avec le nucléaire, faire partie du mix énergétique si l’on veut lutter efficacement contre le dérèglement climatique par la réduction du CO2 parce que la démarche repose sur une vérité scientifique et non par dogmatisme. Le point faible des renouvelables est qu’ils ne sont pas pilotables et qu’il est par conséquent indispensable de les associer à des moyens de stockage de l’énergie, ou à des moyens supplétifs, ainsi que le fait l’Allemagne avec ses centrales au gaz ou au charbon. Les lacs et barrages hydroélectriques sont d’excellents stockeurs d’énergie, les seuls utilisables à l’échelle d’un pays comme la France, pour longtemps encore. »

UNSA SPAEN : « Comment se fait-il que la Chine ait réussi à construire un EPR en 5 ans alors qu’en Europe nous ne sommes pas capables d’en mettre un en service après 20 ans de construction ? Est-ce un problème de contrainte environnementale ? »

Daniel VERWAERDE : « Pour la Chine, la rapidité de construction et le bon fonctionnement des EPR ne sont pas dus à des contraintes environnementales ou des normes de sûreté plus laxistes qu’en Europe. La population chinoise n’accepterait pas, tout comme tout citoyen, un incident nucléaire par négligence de sécurité. En fait, contrairement à nous, Ils sont plus pragmatiques sur les coûts des fournitures et les heures d’ingénierie en amont des projets. Par exemple, dans un EPR, il y a environ 2000 portes. A Taishan, on n’utilise que quelques modèles qui sont de plus standards, alors qu’à Flamanville, elles sont toutes différentes et « sur mesure », car les ingénieries n’ont écouté que leur goût d’innover sans cesse. Et c’est encore plus vrai pour les tuyauteries, que l’on peut trouver dans les catalogues industriels répondant aux spécifications, alors que les ingénieries françaises ont préféré faire du sur mesure. Il faudrait aussi se reposer la question de la puissance optimale des réacteurs, car avec leurs 1650 MW, les EPR nécessitent souvent d’être à la limite des capacités, alors que pour les réacteurs de 900 à 1100 MW les capacités « standards » industrielles sont adaptées, garantissant une meilleure maîtrise technique contrairement aux puissances supérieures… En répondant aussi à la question de coût. »

UNSA SPAEN : « Pour nous, il n’y aura pas de relance du nucléaire sans relance de la formation, d’ailleurs, la filière nucléaire française, s’était réunie pour créer « l’Université des Métiers du Nucléaire ». Cette initiative avait pour but de dynamiser les dispositifs de formation du secteur, aux échelles régionale, interrégionale et nationale, en particulier sur les compétences critiques. Où en sommes-nous à ce jour ? »

Daniel VERWAERDE : « Sur ce point, nous disposons d’un fabuleux outil qui s’appelle l’INSTN. Voyons déjà ce qui lui manque. Et puis nous avons l’Education Nationale. Elle n’est pas parfaite, mais je pense qu’il faut l’aider à répondre davantage aux besoins de notre filière, et non pas que la filière se substitue à l’Education Nationale. Les industriels, comme la filière nucléaire française, l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie, l’Union Française de l’Électricité, France Industrie doivent collaborer avec cette Education Nationale afin qu’elle forme les jeunes dont ils ont besoin en prenant ces jeunes en apprentissage, ou en leur offrant des bourses. Tous ensemble, nous leur permettrons de se retrouver dans l’ascenseur social. Mais il faut aussi que l’Education national se saisisse du sujet en remettant dans ses formations des activités manuelles indispensables à l’industrie française.  »

« Monsieur VERWAERDE, l’UNSA SPAEN vous remercie de vous être prêté à ce jeu de questions/réponses et nous espérons que le « château » entendra les propositions d’un spécialiste. »