Une lettre de licenciement fixe le cadre et les limites du litige et du sérieux de la motivation de la mesure de rupture. C’est ce que rappelle et réitère un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 octobre 2024 (Cass. soc., 23-10-24, n° 22-22206).
Revenons sur cette décision pour aller plus loin…

JURISPRUDENCE DU LICENCIEMENT : RAPPEL DE « FONDAMENTAUX » DU DROIT…

A propos de l’arrêt n° 22-22206 de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 octobre 2024.
https://www.courdecassation.fr/deci…

Les faits de cette affaire…

Un salarié avait été licencié pour une faute grave. L’employeur invoquait plusieurs motifs de manquements constituant une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat. On sait qu’à ce titre, la multiplicité des causes n’est pas toujours « bonne conseillère » puisqu’elle neutralise chaque faits pris isolément, chacun étant relativisé puisque souvent considérer à lui seul comme insuffisant à justifier la décision de licenciement.

Péripéties de la procédure…

Le jugement du conseil de prud’hommes est contesté. Puis la décision de la Cour d’appel : l’employeur reproche aux juges de la cour d’appel d’avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que l’un des griefs énoncés dans la lettre n’avait pas été examiné par le juge au motif que « l’employeur n’avait pas repris ce grief dans ses conclusions », le juge ayant l’obligation d’examiner l’ensemble des griefs qui figurent dans la lettre de licenciement.

Or, si la Cour de cassation censure les décisions du juge qui se fondent sur un moyen qui ne figure pas dans les dossiers des plaideurs, sans qu’il ressorte de la décision que les parties aient été invitées à débattre du moyen ainsi relevé d’office (par ex. Soc., 29 avril 2009, n° 07-44.815 ; Soc., 26 mai 2010, n° 08-42.742 ; pour une illustration récente : Soc., 20 avril 2017, n°15-22.239), elle pose régulièrement que le juge a l’obligation d’examiner l’ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, et qu’en l’espèce il ne pouvait qualifier le licenciement de « licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse », sans avoir « examiné un grief mentionné dans la lettre de licenciement, peu importe que ce grief n’ait pas été repris dans les conclusions de l’employeur… ».

L’analyse juridique…

Comme le rappelle la Cour de cassation sur les fondements des articles L 1232-1 et L 1232-6 du code du travail, la « lettre de licenciement fixe les limites du litige et le juge a l’obligation d’examiner l’ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement ». Et, le « fait que l’employeur n’ait pas repris un des griefs dans ses conclusions, ne permet pas au juge de se dispenser d’en contrôler la matérialité et la gravité ». C’est une erreur de droit, une violation de la loi.

En même temps, le juge d’appel avait répondu strictement aux demandes formulées ! Ainsi, l’article 455 code de procédure civile énonce que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif.

Mais, même si la requête de l’employeur était carencée d’un motif et moyen juridique de contestation, c’est bien la question du bien-fondé d’un licenciement qui était, au global, posée à la Cour d’appel.

Une bonne justice ne peut s’en tenir aux lacunes des parties et de leur défenseur (article 604 du code de procédure civile). Il ne s’agit pas de confondre le « droit » et la « morale » (par analogie, cf. « Le droit en débats » 14.04.2021, par Sébastien de La Touanne , magistrat, Dalloz actualité, 7 novembre 2024).
https://www.courdecassation.fr/tout…

Une solution identique avait été rendue dans un arrêt du 14 octobre 2020 par lequel la Cour casse un arrêt de cour d’appel au motif que les juges ne pouvaient dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, en n’examinant que certains motifs, et en en excluant d’autres.

Droit en actions…

Le juge ne doit donc pas s’en tenir aux prétentions ou imprécisions des demandes et contradictions des parties au procès prud’homal.

Il en va donc aussi d’une alerte à destination, outre des salariés qui contestent leur jugement et des conseillers prud’hommes, voire des conseillers du salarié du salarié « discutant » des différents motifs de reproches ou de justification d’une rupture, qui ne doivent pas croire que le fait, pour un employeur, d’oublier d’examiner l’un des griefs de la lettre de licenciement entraine la mise en cause de la décision de l’employeur pour absence d’une cause réelle…

Les conseillers prud’hommes doivent également garder cet arrêt en mémoire lors de l’examen des contentieux en contestation du licenciement : ceux-ci ont la possibilité (et même, en procédure, « l’obligation ») de prendre en considération un grief de la lettre de licenciement, même si celui-ci n’est pas invoqué par les parties…

Ainsi, la jurisprudence constante selon laquelle la lettre de licenciement fixe les limites du litige prévaut sur le principe de procédure civile selon lequel le juge ne peut se prononcer que sur ce qui est demandé.

Appliquons le Droit au licenciement ne permettra que d’en mieux dénoncer la motivation mal fondée, sans parti-pris ni lacune d’examen de tous les motifs !

Christian HERGES, Responsable Juridique, Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,

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