La lutte de l’ordre des infirmiers contre une pratique qu’elle juge douteuse, « l’hydrotomie percutanée » prend un sérieux revers avec la décision du Conseil d’État !?
CONSEIL D’ÉTAT ET CONSEILS DE L’ORDRE PROFESSIONNELS…
A propos de Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 11/10/2024, n° 475857
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta…
L’affaire…
La chambre disciplinaire condamnait douze infirmièr(e)s et enjoignait l’Ordre à prendre une série de mesure pour les empêcher de pratiquer l’hydrotomie percutanée. Pour le Conseil d’État, ces injonctions sont tout à fait « hors limite » des attributions de cette chambre.
Voulant réprimer cette pratique, les chambres disciplinaires interdisent sa pratique et demandent que des mises en garde soient adressées.
Cependant, les chambres disciplinaires sont déclarées avoir outrepassé leur office et prononcé des décisions alors qu’elles n’avaient pas la compétence de le faire (rappelons-le, la chambre disciplinaire de première instance est présidée par un juge administratif…).
La chambre de Paris rappelle utilement ce qu’est la pratique de « l’hydrotomie percutanée ». Dérivée (selon les dires de l’association en charge de cette pratique) de celle de la mésothérapie dont le Dr B. G. (fondateur) revendique depuis les années 1980 plus de trois cents milles actes. Elle se présente comme l’injection locale intradermique ou sous-cutanée de sérum physiologique (chlorure de sodium, …) avec de grandes dilutions, pour traiter ou soulager (selon les dires de l’association) l’arthrose, les lombalgies chroniques ainsi que les cervicalgies…
L’association promotrice du concept proposait des formations, en échange d’un paiement, d’une adhésion et de la signature d’une charte. L’infirmier formé pouvait ainsi faire des perfusions sous-cutanées dans la région de la nuque ou du dos qu’il cote en actes professionnels « AMI 9 » à « AMI 14 » pour le remboursement de l’assuré (environ « 20 à 30 » euros par séance, selon les dires de l’association).
Cette pratique n’est ni interdite en droit ni promue au niveau de l’Ordre.
Bien que n’ayant pas d’effets indésirables, ces injections sont « inconventionnelles » pour un professionnel. Un début de réponse a été donné en octobre 2021 par la Commission XII de l’Académie nationale de médecine, qui déclarait que « leur usage ne doit pas être reconnu comme une pratique de soin valide ».
En 2021, la chambre disciplinaire de première instance de PACA-Corse avait mis en cause au total douze infirmières pour avoir promu cette pratique et prononcer des condamnations allant du blâme à l’interdiction de pratiquer pendant quinze jours, voire un mois pour certaines. Elle a également donné injonction à l’Ordre des infirmiers de diffuser, d’une part, une mise en garde à tout infirmier contre cette pratique et, d’autre part, de demander aux conseils départementaux de l’ordre des infirmiers, d’inviter tout infirmier à cesser sans délai cette pratique, sous peine de poursuites disciplinaires.
La chambre de Paris a examiné leur recours et avait confirmé le premier jugement. Huit infirmiers se pourvoient en cassation…
Recours en cassation…
Leur recours repose sur un argument essentiel : la chambre disciplinaire ne peut pas prononcer de sanction disciplinaire et donner des injonctions à l’ordre des infirmiers.
Pour le juge, les questions de fond ne seront pas jugées. Mais, en adressant au Conseil national de l’Ordre des infirmiers l’injonction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale a méconnu son office.
Elle décide d’annuler la décision de la chambre en tant qu’elle prononce une injonction à l’Ordre.
Malgré avoir pris des précautions, le juge recadre et limite les décisions des chambres disciplinaires des ordres professionnels de la santé.
En Droit…
La chambre disciplinaire a le droit d’infliger des sanctions aux infirmiers (L. 4124-6 et L. 4124-6-1 du Code de santé publique en première instance et d’appel ; le IV du L. 4312-5 l’étend aux infirmiers).
Cette compétence est cependant limitée à des natures de sanctions énumérées à l’article L. 4124-6 : l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire d’exercer, la radiation du tableau de l’ordre. Et en plus, lorsque les faits reprochés au professionnel poursuivi ont révélé une insuffisance de compétence professionnelle, lui enjoindre de suivre une formation…
Mais encore…
L’adhésion à l’association permettait aux infirmiers de figurer sur un annuaire, violant les dispositions de la loi (article R. 4312-54 du Code de santé publique « l’infirmier ne doit pas user de sa situation professionnelle pour tenter d’obtenir pour lui-même (…) un avantage ou un profit injustifié »), ce qui alimentait la promotion de « l’hydrotomie percutanée ».
La chambre a pris des mesures à « caractère politique », revenant ainsi à une certaine forme de corporatisme ?
L’article R. 4312-10 du Code de la santé publique énonce que « l’infirmier agit en toutes circonstances dans l’intérêt du patient » et l’article R. 4312-47 du même code, qu’il « ne doit pas diffuser dans les milieux professionnels ou médicaux une technique ou un procédé nouveau de soins infirmiers insuffisamment éprouvés, sans accompagner cette diffusion des réserves qui s’imposent (…) Il a également le devoir de ne pas utiliser des techniques nouvelles de soins infirmiers qui feraient courir au patient un risque injustifié. »
L’article R. 4312-42 préconise aussi que « l’infirmier applique et respecte la prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, quantitative et qualitative, datée et signée. Il sollicite du prescripteur un complément d’information chaque fois qu’il le juge utile, notamment s’il estime être insuffisamment éclairé. Si l’infirmier a un doute sur la prescription, il doit la vérifier auprès de son auteur ou, en cas d’impossibilité, auprès d’un autre membre de la profession concernée. En cas d’impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l’attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié ».
De la règle de droit donc, la chambre dégage trois obligations : faire preuve d’esprit de discernement, devoir de prudence et la primauté de l’intérêt du patient.
Deux étapes à suivre pour l’infirmier avant d’effectuer de nouveaux actes médicaux : s’enquérir auprès du prescripteur ou de tout autre sachant, apprécier au titre de sa responsabilité personnelle s’il met fin ou non à l’exécution de la prescription médicale litigieuse liée au contrat de soin.
Dès lors, même en l’absence de position doctrinale claire dans les débats au sein de l’Ordre, des règles de droit s’imposent.
Là où l’ordre fait prévaloir l’ordre public sanitaire sur les libertés individuelles, le Conseil d’État fait prévaloir la séparation des pouvoirs au sein de l’ordre, bien nécessaire pour garantir l’État de droit…
Adib MOUHOUB, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National.
juridique@unsa.org