Par cet arrêt en date du 15 janvier 2025, la Cour de cassation se prononce sur la rupture du contrat de travail dans un domaine particulier, le sport. Particulièrement ici, le rugby.
LA « PRATIQUE DU SPORT » ET DU RUGBY À LA CHAMBRE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION : PAS D’ERREURS D’ARBITRAGE…
A propos de la jurisprudence sociale de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 n° 23-13.980
https://www.legifrance.gouv.fr/juri…
° DECISION DU JUGE :
« En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’au jour de la prise d’effet du contrat de travail, le 1er juillet 2018, le club n’évoluait plus dans le championnat professionnel PRO D2 relevant de la ligue nationale de rugby, mais dans le championnat amateur fédérale 1, de sorte que la relation de travail était soumise au statut du joueur de fédérale 1, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
° FAITS : À VOS CRAMPONS…
Un homme a été recruté par le club de Narbonne en qualité de joueur de rugby sous contrat espoir pour la saison 2017-2018 puis sous contrat professionnel pour les deux saisons suivantes, mais son contrat n’a jamais été homologué par la Ligue Nationale de Rugby faute de certificat médical envoyé par l’employeur, alors même que contrat professionnel prévoyait une condition suspensive, l’homologation.
Le club a ensuite été relégué de Pro D2 (championnat professionnel), à « Fédérale 1 » (championnat amateur) à l’issue de la saison 2017-2018 puis liquidé judiciairement.
La liquidatrice, « mal chaussée », licenciant le joueur en juillet 2018, un mois donc, après le début théorique du contrat professionnel.
Le joueur a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
° PROCEDURE : « A vos marques… »
Le Conseil de prud’hommes a donné en partie raison au joueur, et a fixé une créance d’un montant de 1076,70€ du club envers son joueur, mais l’a débouté sur la rupture abusive du contrat et la demande de dommages et intérêts liée.
Prêt, pour l’appel…
Le joueur a donc interjeté appel pour confirmer le jugement mais obtenir 63000 € de dommages et intérêts en rupture abusive du contrat, quand l’UNEDIC a saisi la Cour, a l’inverse, pour faire annuler ce jugement.
Pour la Cour d’appel de Montpellier, le 25 janvier 2023, l’homologation est une condition suspensive, celle-ci n’étant pas remplie, le contrat est dépourvu d’existence et d’effets et le joueur ne peut participer aux compétitions. Comme le défaut d’homologation est imputable partiellement à l’employeur, ça ne permet pas de rendre le contrat valide, mais ça ouvre le droit au préjudice résultant du défaut d’homologation. La demande de 1076€ au titre de rappel de salaires est possible, mais comme il n’y a pas d’homologation du contrat, il n’y a pas de rupture abusive du contrat, donc pas de dommages et intérêts de ce fait.
Parti pour la Cour de cassation…
Le joueur a donc saisi la Cour de cassation car il souhaitait toujours ses dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
Il arguait notamment, par divers règlements à l’appui de sa demande, que l’absence d’homologation du contrat ne peut empêcher l’exécution de celui-ci lorsqu’à la date de prise d’effet de ce contrat le club a été relégué en fédérale 1 ! .
La question qui se posait avant tout dans ce cas est de savoir dans quelle mesure l’homologation d’un contrat peut-elle avoir une influence sur sa validité, puis sur le régime de la rupture ?
° ECLAIRAGES : quels piliers juridiques pour pour pousser la solution de droit et démêler, transformer l’essai de la clarification du régime juridique applicable ?
La Cour de cassation rappelle que le règlement de la fédération sportive ou de la ligue professionnelle peut prévoir une procédure d’homologation du CDD du sportif, et les conséquences en cas d’absence de celle-ci, également que la convention collective du rugby professionnel cesse de s’appliquer dès la relégation ou la rétrogradation du club dans les compétitions fédérales.
Elle précise aussi que l’homologation est une condition préalable à la qualification du joueur en tant que « joueur sous contrat ».
Enfin, elle juge que la Cour d’appel a considéré l’absence d’homologation comme une condition empêchant l’exécution du contrat, malgré le fait que le club avait perdu son statut professionnel, donc que la convention collective du rugby professionnel ne s’appliquait plus.
Or, pour la Cour de cassation, la date de prise d’effet du contrat alors que le club n’évoluait plus dans la division professionnelle entraine le fait que le joueur est soumis aux règles applicables aux statuts des joueurs de Fédérale 1, pour laquelle l’homologation n’est pas une condition préalable à l’existence d’un contrat de travail.
« L’en avant » de le Cour d’appel…
Ainsi, l’absence d’homologation par la LNR ne rendait pas le contrat automatiquement nul. Elle a donc cassé et annulé l’arrêt d’appel.
° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Nouvel arbitrage de la « phase de jeu » des droits applicables…
Pour rendre cet arrêt, la Cour de cassation s’est basée sur :
L’article L. 222-2-6 du Code du sport selon lequel :
« Le règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle peut prévoir une procédure d’homologation du contrat de travail à durée déterminée du sportif et de l’entraîneur professionnels et déterminer les modalités de l’homologation ainsi que les conséquences sportives en cas d’absence d’homologation du contrat.
Les conditions dans lesquelles l’absence d’homologation du contrat peut faire obstacle à son entrée en vigueur sont déterminées par une convention ou un accord collectif national ».
Ensuite, les articles 2.1.2 du titre I, « Lorsqu’un Club est relégué ou rétrogradé dans les compétitions fédérales, la convention continue, en vertu de l’article L. 2261-14 du Code du travail, à produire effet pour les contrats conclus avant la relégation ou la rétrogradation jusqu’à ce qu’un accord d’adaptation soit conclu au sein du Club, et au plus tard jusqu’à la fin de la saison sportive suivante.
Toutefois, les dispositions de la présente convention relatives à la procédure d’homologation des contrats de travail par la LNR cessent de s’appliquer dès la relégation ou la rétrogradation du Club dans les compétitions fédérales, celui-ci perdant la qualité de membre de la LNR », et 2.3.2 du titre II de la convention collective du rugby professionnel, qui prévoit notamment que « Tous contrats, ainsi que tous avenants, conventions, accords et contre lettres dont l’objet est de compléter le contrat de travail conclu doivent être soumis par le Club à l’homologation dans les conditions fixées par la présente convention et la réglementation de la LNR ».
Enfin, l’article 4.1 du titre II du statut du joueur de fédérale 1 qui dispose entre autres « L’homologation ne constitue pas une condition préalable à l’existence d’un contrat de travail entre un joueur et un club. En conséquence, elle ne saurait constituer une validation juridique du contenu dudit contrat lequel relève de la seule responsabilité des parties ».
° DROIT EN ACTIONS :
Globalement, la loi renvoie aux accords collectifs nationaux le soin de fixer les règles en matière d’homologation, et la Convention collective du sport laisse le soin à un accord sectoriel de fixer ces effets.
Pas besoin de recourir à la vidéo…
Dans le cas présent, c’est un arrêt qui protège les intérêts du joueur.
Comme lorsque la Cour a jugé le « commencement d’exécution » reçu par le contrat (être à disposition du club, participation aux entrainements) empêche le club de se prévaloir de cette condition suspensive qu’est l’homologation (Cass. Soc, 1er juillet 2009 n° 08-40.023).
De fait, la relation de travail s’est bien exercée sur le terrain du sport en dépit d’une régularité ou non de l’homologation (toute infraction au code de la route n’entraine pas le retrait du permis de conduire, et la contestation de l’homologation du rugbyman sur le fondement d’un autre moyen de droit est un contentieux distinct et spécifique, autre. Même si l’on s’étonnera qu’un joueur puisse jouer sans certificat médical, ce qui est autre chose…).
Ou encore que « le joueur ne peut se voir opposer un défaut d’homologation résultant de la carence du club dans l’accomplissement de cette obligation » – (Cass. Soc, 8 avril 2021 n°18-25.645).
Mais, il n’est jamais inutile d’examiner toutes les pistes des moyens de droit pour transformer l’essai et marquer des points pour la défense des salariés.
Louis BERVICK, juriste en droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique national UNSA
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