Réflexions au Parlement pour accorder aux juristes d’entreprise la confidentialité de leurs consultations juridiques…
Abordée lors de la veille du Journal Officiel du 8 février dernier (rubrique, quoi de neuf au J.O. ? Vos droits… ), cette thématique est approfondie par le présent article…

CONFIDENTIALITE DE LA CONSULTATION DES JURISTES !?

Depuis le début des années 1990, le débat sur l’opportunité de l’octroi d’une confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise est ouvert, mais depuis lors n’a pas été conclu…

Alors que les dispositions sur la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise contenues dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 novembre 2023 (n° 2023-855 DC), le lendemain, une proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise a été déposée au Sénat. Elle continuait son cheminement au sein du « parcours parlementaire » encore ce 16 février 2024 (cf. JO de ce jour).

° CENSURE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Lors du travail parlementaire sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, le Sénat avait introduit en première lecture le paragraphe IV de l’article 49 sur la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

Cependant, dans sa décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions sur la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise puisqu’il a considéré qu’il s’agissait de cavaliers législatifs. En effet, les dispositions n’avaient selon lui pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat, ni de lien avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.
Dès lors, en raison de l’adoption de ces dispositions par une procédure contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel les déclarait de facto contraires à la constitution et ce, sans analyser la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

° NOUVELLE PROPOSITION DE LOI

Le lendemain de cette décision, le 17 novembre 2023, le sénateur Louis VOGEL et plusieurs de ses collègues déposaient au Sénat une proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise (n°126).

Les auteurs de la proposition de loi insistent sur l’importance d’accorder la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise puisque la France se singularise par cette absence face à ses principaux partenaires économiques, notamment au sein de l’OCDE.

Dès lors, ils estiment que cette situation a des conséquences sur la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France car elle incite des directions juridiques à s’établir dans d’autres États ou à ne pas recruter de juristes d’entreprise français et expose également davantage les entreprises françaises à l’application extraterritoriale, par certaines autorités étrangères, de leur droit national.

La proposition de loi déposée reprend en grande partie les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel.

° TEXTE ADOPTÉ EN COMMISSION

Le texte de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat (n°321) pris le 7 février 2024 conserve la majorité du texte initial et adopte trois amendements.

Parmi les points importants du texte adopté en commission, soulignés dans le rapport de la sénatrice Dominique VÉRIEN (n°320), il faut retenir que :

le bénéfice d’une confidentialité des consultations juridiques est octroyé aux juristes d’entreprise. Seuls les juristes d’entreprise titulaires d’un master en droit pourront voir leurs consultations bénéficier de cette confidentialité, sauf disposition transitoire prévue par le texte.
Le juriste d’entreprise doit avoir suivi des formations initiale et continue relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques. Les consultations doivent être destinées à seulement certains membres de l’entreprise. Les consultations juridiques portent la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » et font l’objet, à ce titre, d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et, le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire desdites consultations. La confidentialité ne sera pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale ; mais elle le sera le cadre d’une procédure en matière civile, commerciale ou administrative. La confidentialité peut à tout moment être levée par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise. Dans le cas d’une saisie de consultation juridique confidentielle, il est possible de recourir au placement sous scellé et à la conservation de celle-ci par un commissaire de justice, afin d’éviter toute altération par l’entreprise du document. La contestation ou la demande de levée de confidentialité aurait lieu devant le juge, qui ouvrirait le document en présence des parties, après audition de celles-ci et statuerait en conséquence.

° SUITE DE LA PROCÉDURE

La première discussion en séance publique au Sénat avait lieu le 14 février 2024. Si le Sénat adopte cette proposition de loi, elle sera ensuite adressée à l’Assemblée nationale qui l’étudiera à son tour.
Dès lors, peut-être que le débat sur l’opportunité de l’octroi d’une confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise, qui dure depuis le début des années 1990, sera conclu dans les prochains mois.

° DROITS EN ACTIONS UNSA

Certes l’UNSA était moins concernée par les motifs initiaux de cette réforme en lien avec les risques d’extraterritorialité (ci-dessus). Par contre, les juristes d’une Union ou d’une fédération autonome pourront trouver quelque intérêt à cette nouvelle opérationnalité d’une confidentialité « institutionnalisée ».
L’obligation de passer par un tiers de confiance voire un tiers séquestre, un avocat… pourrait trouver une alternative…

A voir les dispositions finales de ce projet qui « parle » aux juristes de droit du travail et à suivre…

Auteur, Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

Pour toute question : juridique@unsa.org